Ethique du dépistage du cancer du sein.

Par Docteur Michel Savonnet, le 09 Avril 2008.
Le dépistage du cancer du sein a fait exploser le nombre de diagnostics de cette pathologie. Le Dr Michel Savonnet, gynécologue à Nancy a déniché pour nous un article paru dans le numéro 70 de juin 2007 de la revue “Les cahiers SYNGOF” (Syndicat National des Gynécologues Obstétriciens de France) qui remet en question le bien-fondé de cette intervention.
Principe fondamental de l’éthique : instaurer un débat ouvert pour dynamiser l’évolution de la recherche et des soins en cancérologie dans l’intérêt de la santé publique et des personnes sujets de soins.
Le dépistage du cancer du sein est actuellement au cœur d’enjeux de connaissance et de pratique cruciaux pour l’avenir de la médecine.
Dans le but de guérir les cancers à leur début, on les a recherché de plus en plus précocement. En France, l’augmentation massive des mammographies de dépistage s’est accompagnée d’une flambée du nombre de diagnostics histologiques et des traitements de cancers, alors que la mortalité a peu changé depuis plus de 20 ans. Selon que ce résultat est examiné avec ou sans lucidité, il apporte des éléments neufs, source de progrès dans la connaissance de la maladie cancéreuse, ou alors il nuit à la compréhension de son histoire naturelle en voilant les faits. Au niveau des pratiques, le questionnement de la pertinence du dépistage du cancer peut susciter une démarche visant à restaurer des soins respectueux des valeurs fondamentales de la profession médicale ou alors provoquer une surenchère de mesures visant à consolider des choix issus d’une synergie entre le politique, le technique et l’économique. Selon des estimations actuelles, c’est en 2007 que le chiffre d’affaire des médicaments contre le cancer va se hisser à la première place au niveau mondial. Depuis 2004, année de la généralisation du dépistage organisé en France, on assiste à un écartèlement progressif des messages délivrés au médecins. D’une part, des publications scientifiques font état des inconvénients des campagnes de dépistage et des incertitudes sur leur efficacité ; d’autre part, l’incitation au dépistage est massivement encouragée.
Selon des estimations actuelles, c’est en 2007 que le chiffre d’affaire des médicaments contre le cancer va se hisser à la première place au niveau mondial.
L’incitation au dépistage suscite une réflexion éthique.
La Convention Nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l’Assurance Maladie fut signée le 12 janvier 2005. L’avenant 23 [1], récemment finalisé, demande que le médecin traitant, en coordination avec les gynécologues, « développe une information positive sur le dépistage (qui doit s’inscrire parmi les actes naturels de simple surveillance) afin de lever les éventuelles réticences des ses patientes ». L’avenant vise à augmenter le taux de participation au dépistage de 14% en 3 ans, soit de 66% à 80%. Il paraît éthiquement discutable de subordonner une augmentation tarifaire des médecins généralistes à un tel objectif. Ainsi, il est demandé aux médecins de promouvoir des actes gratuits pour les femmes dont les conséquences sanitaires et financières sont énormes. Des médecins généralistes ainsi que des gynécologues médicaux et obstétriciens se sont alors interrogés sur le respect des règles de déontologie. En effet, selon les réflexions actuelles du Conseil National de l’Ordre, « la décision médicale avec un patient autonome est devenue aujourd’hui une décision partagée et non plus une décision paternaliste » et « la décision médicale ne doit reposer que sur les principes de besoin et de nécessité et ne pas dépendre de toutes autres considérations gestionnaires » [2]. L’examen avec les patientes des bénéfices et des risques liés au dépistage devrait donc s’imposer.
Pour être éthiquement acceptable, les formes de prise en charge économique du dépistage devraient résulter d’un débat sur le choix des prestations de soin les mieux adaptées à l’intérêt des soignés en fonction des moyens disponibles. Les femmes visées par le dépistage devraient avoir un rôle de premier plan dans ce débat. L’éclairage objectif du niveau d’intérêt du dépistage est nécessaire à une allocation rationnelle des ressources. Cette attitude procède d’une recherche d’authenticité de l’engagement professionnel.
La pratique médicale implique des choix. La démarche éthique y contribue en fonction du savoir et de référentiels de valeurs. La recherche de la vérité s’impose donc avant tout positionnement éthique, avant tout engagement fondé sur le discernement entre ce qu’il convient de faire ou ne pas faire.
Dans un premier temps, cet article présente la nature des dangers de l’application des critères de définition actuels du cancer dans un contexte de dépistage. Des faits historiques et épidémiologiques expliquent ensuite le pourquoi et l’ampleur du développement du dépistage du cancer dans les pays industrialisés. Une analyse économique associée aux bénéfices et aux inconvénients du dépistage mené aux Etats-Unis apporte un éclairage complémentaire d’aide à la décision. La conclusion propose une approche respectueuse des valeurs hippocratiques et l’application d’un principe fondamental de l’éthique : l’instauration d’un débat ouvert pour dynamiser l’évolution de la recherche et des soins en cancérologie dans l’intérêt de la santé publique et des personnes sujets de soins.
Deux pavés dans la mare.
En mars 2005, le journal européen du cancer fait paraître dans deux numéros successifs un article de revue [3] et un commentaire éditorial [4] questionnant fondamentalement la représentation classique du cancer et les pratiques de soins en vigueur.
Le commentaire éditorial est admirablement construit par un expert reconnu de l’épidémiologie du cancer : Gilbert Welch. Il explique très simplement que le résultat de l’examen au microscope d’un prélèvement ponctuel n’est pas toujours prédictif d’une véritable maladie cancéreuse. Preuve en sont les nombreux diagnostics de cancers obtenus lorsqu’on les recherche dans les seins de femmes décédées d’une cause indépendante du cancer [5-8]. D’autres preuves proviennent de la comparaison de la fréquence des diagnostics dans deux groupes de femmes où l’un est dépisté plus souvent que l’autre. Après plusieurs années de recul, on constate un nombre plus élevé de diagnostics de cancers dans le groupe dépisté, sans compensation ultérieure [9]. « Autrement dit, un inconvénient du dépistage est de détecter des cancers qu’il eût mieux valu ignorer » [10], les surdiagnostics non prédictifs d’une véritable maladie cancéreuse, augmente d’autant plus que les tumeurs examinées sont petites.
Illusion d’efficacité des soins.
Plus on dépiste, plus la fréquence des diagnostics augmente à cause des surdiagnostics. Soignés inutilement, ils donnent alors l’illusion de l’efficacité des traitements et renforcent à tort la confiance du médecin dans l’efficacité du dépistage. La revue « Oncologie » a répercuté en français le résumé d’une communication sur ce sujet au cours européen d’oncologie de décembre 2005. Au cours de la discussion un graphique a été projeté montrant que le nombre de diagnostics en excès à partir de 1980 jusqu’en 2000 avoisinait 200 000. Cette épidémie de diagnostics suivis de traitement mutilants et dangereux est un résultat plausible du surdiagnostic. Son ampleur représente 3,6 fois l’épidémie de Sida maladie, hommes et femmes inclus, observée pendant la même période en France.
L’autre publication a été signée par quatre chercheurs travaillant chacun dans des lieux différents, deux en Europe et deux aux Etats-Unis. En s’appuyant sur des dizaines de publications scientifiques, ils montrent que la chirurgie du cancer du sein perturbe l’histoire naturelle de la véritable maladie cancéreuse et stimule la manifestation des métastases. Ce phénomène a récemment été documenté par un travail statistique portant sur tous les départements de la France métropolitaine. Du fait que le dépistage du cancer du sein s’organise le plus souvent à l’échelle départementale, on dispose en France de la possibilité de comparer des situations contrastées. On observe en effet des différences d’intensité de l’activité chirurgicale sur le sein pour les femmes de différents départements, notamment aux âges charnières par rapport à l’introduction ou à la cessation du dépistage, à savoir 50 ans, 70 ans et 75 ans. Il s’avère que l’intensification de l’activité chirurgicale consécutive au dépistage est associée significativement à une mortalité par cancer du sein plus élevée qu’attendue 3 ans plus tard. Inversement, les départements où l’activité chirurgicale pour cancer du sein a peu augmenté ou a diminué aux âges charnières ont une mortalité par cancer du sein moins élevée trois ans plus tard. En application du code de la santé publique, les préfets de 24 départements où la conjonction d’une intense activité chirurgicale consécutive au dépistage et d’une forte mortalité par cancer du sein s’est avérée particulièrement prononcée ont été alertés du danger en avril 2007.
Il s’avère que l’intensification de l’activité chirurgicale consécutive au dépistage est associée significativement à une mortalité par cancer du sein plus élevée qu’attendue 3 ans plus tard.
La genèse de l’extension du dépistage.
Pour poser son diagnostic avant l’apparition d’une symptomatologie perçue, le médecin examine les patientes en recourant à des outils techniques toujours plus performants. L’évolution des techniques en médecine est donc étroitement liée au dépistage. L’histoire montre que cette intrusion de la technique dans la pratique médicale a été renforcée par deux composantes issues de politiques institutionnelles indépendantes des valeurs hippocratiques : la démagogie, puis, secondairement, le profit issu du marché des soins.
Un célèbre chirurgien a donné au dépistage une raison d’exister. Halsted a affirmé en novembre 1894 que seulement 3 femmes sur 50 avaient récidivé à la suite de son intervention à visée curative, la mastectomie radicale [11]. Sa publication sème l’espoir. Des analyses historiques récentes montrent qu’il a probablement cédé à la tentation de séduire ses collègues. La forme subtile de son texte va jusqu’à simuler la réserve et la prudence qu’impose le doute scientifique à propos de son résultat encourageant. Seulement il n’annonce pas qu’en vérité, sur les 25 premières femmes opérées pour lesquelles il dispose d’un suivi de 2 à 4 ans, 16 ont récidivé et/ou sont décédées. Ce taux de 64% est comparable à celui de toute autre intervention réalisée à l’époque sur le cancer du sein. Son annonce de 3 récidives seulement ne précise pas d’emblée qu’il s’est limité aux seuls cas de nouvelles tumeurs apparaissant sur la cicatrice ! Depuis lors, les médecins ont cru à la possibilité de guérir le cancer du sein par une intervention chirurgicale précoce. Ils ont donc pratiqué avec une intensité croissante la recherche des petits cancers. Le surdiagnostic les a confortés dans l’impression de l’efficacité du traitement chirurgical.
A la fin de la deuxième guerre mondiale, la société américaine pour le contrôle du cancer a renouvelé son bureau et changé son nom. La présidente de l’American Cancer Society, May Lasker, a alors suivi les conseils de son mari, un publiciste, pour dynamiser l’association. Albert Lasker avait récemment fait un tabac en réussissant une campagne publicitaire incitant les femmes américaines à prendre une cigarette à la place d’un bonbon. Après ce coup fumant, il a conseillé à sa femme de trouver une raison de mobiliser les américaines sur le dépistage du cancer. C’est alors qu’on déterra une publication de Papanicolaou datant de 1928. La promotion du dépistage s’est faite par des conférences et des articles, sans qu’on dispose d’aucune preuve de son efficacité. Dans les années qui ont suivi, l’American Cancer Society avait acquis le soutient du Congrès américain et de la population.
Ces circonstances ont sans doute contribué à ignorer une explication lucide du défaut de fiabilité du diagnostic histologique par Mac Kinnon, un médecin expérimenté en anatomie pathologique et en épidémiologie. Il explique par le surdiagnostic un phénomène observé de 1927 à 1947 au Canada, identique à celui présenté pour une période plus récente en France (cf. Communication de la revue « Oncologie ») : pendant 20 ans, la mortalité par cancer du sein ne change pas alors que la fréquence des interventions chirurgicales augmente considérablement [12]. L’examen histologique est utile pour confirmer la nature cancéreuse du processus tumoral. Mais son défaut de spécificité est responsable du surdiagnostic, surtout lorsqu’il intervient ponctuellement dans le cadre d’un dépistage.
La suite de l’histoire du dépistage du cancer est devenue de plus en plus manipulée, tant aux Etats-Unis qu’en Europe. Pendant le dernier quart du XXème siècle, des essais contrôlés ont montré qu’il n’y a pas de différence de survie selon qu’on pratique une mastectomie radicale de Halsted ou une exérèse moins mutilante. Ce résultat accrédite l’hypothèse de la dissémination de métastases dormantes avant qu’un cancer ait atteint une taille visible à l’œil nu. Mais depuis 1971, lorsque le président Nixon a déclaré la guerre au cancer en incluant le dépistage dans la stratégie de lutte, les propositions en faveur d’une réorientation de la recherche et des soins fondées sur la biologie, la clinique et l’épidémiologie ont été ignorées, voire perçues comme des traîtrise nuisibles à la bonne cause du combat engagé contre le cancer [13, 14].
Preuves suédoises de 1985 contestées en 2006.
En Europe, l’étude des deux comtés suédois publiée par Tabar et collaborateurs en 1985 annonce une réduction de 30% de la mortalité par cancer du sein chez les femmes ayant bénéficiée d’un dépistage par mammographie [15]. Récemment, une publication scientifique a montré l’incompatibilité du résultat de Tabar avec les données officielles sur les femmes suivies pendant la même période et dans les mêmes lieux. La réduction de la mortalité consécutive au dépistage n’est donc pas établie. La tension provoquée par la remise en question de la validité de l’étude des deux comtés suédois à laquelle se réfèrent les programmes de dépistage du cancer du sein en Europe a encore durci l’opposition entre connaissances et pratiques. Voici pourquoi, l’article scientifique apportant la démonstration de l’incompatibilité des données officielles avec les résultats favorables au dépistage a été accepté pour publication et mis en ligne en mars 2006 sur le site du journal européen du cancer. Une opération destinée à censurer cette publication, menée par un radiologue américain exerçant en Europe a réussi dans un premier temps. L’article mis en ligne fut retiré, bien qu’il ait été accepté pour publication. Mais en novembre 2006, le Lancet a publié les faits inadmissibles relatifs à cette censure [16] et une autre revue médicale a définitivement publié l’article censuré précédemment [17]. Medline affiche ce scandale en donnant la référence de l’article censuré et en mentionnant ostensiblement qu’il a été retiré (« WITHDRAWN »). Après ces articles publiés en 2006, le débat scientifique ne s’est pas prolongé publiquement.
Analyse coût – efficacité.
Dans un article publié en 2005, le professeur Robert Kaplan, chef du département des services de santé de l’école de santé publique de l’université de Californie (UCLA) répond scientifiquement à la question suivante : les ressources sont-elles utilisées raisonnablement pour dépister le cancer [18] ? Son texte commence par décrire l’enthousiasme du public américain pour le dépistage. Il aborde ensuite le problème des pseudo-maladies résultant de la définition histologique du cancer et des biais dans l’interprétation des études cliniques sur le dépistage. Il montre que le dépistage privilégie forcément l’identification de lésions d’évolution lente et que les essais contrôlés ne permettent pas de conclure à une réduction de la mortalité. A ce stade de la réflexion, il pose le problème du choix d’allocation des ressources de la manière suivante : dés lors que des moyens sont consacrés au dépistage, ils ne sont plus disponibles pour d’autres buts. Le temps et la compétence médicale dévolus aux activités de dépistage ne sont plus accessibles aux femmes qui présentent un problème de santé. La technique économique à laquelle il se réfère consiste à estimer le prix à payer pour gagner une année ajustée sur la qualité de vie (« QUALY »). L’exercice a tôt fait de montrer que le dépistage du cancer n’est pas une priorité.
Le temps et la compétence médicale dévolus aux activités de dépistage ne sont alors plus accessibles aux femmes qui présentent un problème de santé.
Ethique et valeurs.
Chacun a son référentiel de valeurs à partir duquel il donne un sens à ses activités. Depuis longtemps, le pouvoir sur les autres, conféré par la force, l’argent, le savoir, la prétention du savoir et la séduction constitue une valeur de référence expliquant bon nombre de stratégies individuelles et collectives. En cancérologie, le pouvoir du médecin procède d’abord de la peur de la maladie cancéreuse et de la mort.
L’art est un autre moteur des activités humaines. L’art de la médecine d’Hippocrate donne des clés différentes du pouvoir pour donner du sens aux actes médicaux. Il distingue les situations où le médecin peut améliorer, voire résoudre un problème de santé, de celles où son rôle consiste à discerner quand le mal est le plus fort. C’est au médecin de décider de ne pas s’engager dans l’acharnement thérapeutique et de ne pas prendre l’initiative d’investigations inutiles, voire néfastes. Les textes de l’école de Cos, datant d’il y a plus de 2000 ans, présentent ce discernement comme une condition essentielle pour être un médecin authentique, par opposition au médecin de nom. Selon Hippocrate, le vrai médecin doit se référer à celui qui compte les succès et les échecs pour exercer ce discernement. Il définit ainsi une des fonctions essentielles de l’épidémiologie clinique. Le médecin qui n’a pas la force de caractère nécessaire pour dissocier les cas où les soins sont justifiés ou non cède à la demande, surtout s’il s’agit d’une maladie réputée létale. Hippocrate dénonce ce médecin comme un insensé.
L’exercice de l’art médical respectueux des valeurs hippocratiques confère une plénitude de vie faite de découverte de soi et des autres. Le conflit d’intérêt est incompatible avec le respect des règles de déontologie médicale. Il trompe la confiance des soignés. Il est préjudiciable à l’équilibre de la société.
L’intrusion massive de la technique dans la pratique médicale trahit une peur panique de l’homme face à la mort qui l’attend. En refusant d’accepter la réalité de la mort, le médecin contribue à exproprier ses semblables d’un potentiel de maturation et d’approfondissement de la compréhension de leur vie. Les pratiques actuelles en cancérologie diminuent la perception des difformités du corps, annonciatrices de la fin de la vie. La destruction de la tumeur réduit la durée pendant laquelle la patiente et son médecin perçoivent la maladie cancéreuse. Le repérage de cancers de petite taille est une contribution à la limitation de cette durée.
Au niveau de la recherche, la pratique actuelle du dépistage où les cancers sont définis selon des critères histologiques appliqués à des prélèvements ponctuels pose un problème éthique considérable. En effet, l’artéfact du surdiagnostic empêche l’acquisition de connaissances sur la maladie cancéreuse et sur ses causes. La démonstration objective de ce problème existe pour d’autres tumeurs solides. Il a par exemple été démontré que les diagnostics de pseudo cancers des poumons ne sont pas liés au tabac. Les « cancers » dépistés et confirmés par l’histologie sont si nombreux qu’ils masquent le lien de causalité réel. Etant donné la méconnaissance actuelle du cancer du sein, il serait éthique de revenir à l’observation de la dynamique des tumeurs pour discerner quels soins sont adaptés.
Lorsque le patient ou son entourage perçoivent que cela ne va pas, l’action du médecin est humainement justifiée. Les résultats de l’épidémiologie clinique contribuent à optimiser ses pratiques. Par contre, lors d’un dépistage, l’initiative d’entreprendre une investigation ne dépend pas d’un signe d’appel. Cette situation exige qu’une recherche ait apporté la preuve expérimentale de son bénéfice avant de l’appliquer.
Les études menées sur le dépistage du cancer du sein n’ont pas apporté la preuve d’une réduction de la mortalité. Par contre, elles montrent que le dépistage provoque le surdiagnostic. De plus, l’hypothèse d’une accélération de la manifestation des métastases dans les organes vitaux consécutive à l’intensification du dépistage a été confirmée par les résultats de l’analyse des données officielles disponibles en France.
Etant donné la méconnaissance actuelle du cancer du sein, il serait éthique de revenir à l’observation de la dynamique des tumeurs pour discerner quels soins sont adaptés.
Conclusion : La médecine se trouve aujourd’hui devant une alternative.
Soit elle choisit l’authenticité et les pouvoirs technoscientifiques ne font que graviter autour d’elle ; soit elle se laisse phagocyter et instrumentaliser par la techno science [19].
Nous assistons actuellement à une corruption de l’acte médical par la déviation de la responsabilité médicale à celle d’une responsabilité à l’égard d’une administration. Le repérage de cette situation mérite attention. En effet, des formes analogues d’engagement de médecins et de scientifiques renommés entendus lors des procès de Nuremberg ont suscité la naissance du premier code éthique par la prise de conscience de leur dépendance vis-à-vis du pouvoir [20]. La stratégie actuelle d’intervention collective, « biopouvoir » sur les corps, contredit l’affirmation des principes d’autonomie et d’autodétermination. Elle passe sous silence la réflexion qu’ont les femmes sur le dépistage. Elle institue un médecin traitant dénué de sa liberté de penser car accomplissant les référentiels dogmatiques du moment. Elle fait oublier que la médecine est un engagement personnel du médecin garanti par une liberté de prescription et par la liberté de son intelligence.
La prise de conscience de la faillibilité des sources scientifiques de la connaissance doit être perçue non comme une capitulation mais comme une condition d’ouverture au questionnement. L’éthique n’est-elle pas d’ailleurs une démarche intellectuelle de questionnement sur les fondements moraux des pratiques ?
Selon les données scientifiques dont on dispose à ce jour, le dépistage du cancer du sein n’obéit pas à la première règle de conduite du médecin : « ne pas nuire ». L’ouverture d’un large débat éthique est nécessaire pour réorienter les stratégies actuelles de la recherche et des soins en cancérologie [21, 22]. Les médecins y rappelleront que les sources vives d’une pratique repose sur l’expérience personnelle et la « sophia », science avec conscience qui ne conçoit pas l’être humain en terme de corps machine, mais comme une être singulier.
Remerciements.
Ce texte a bénéficié de la qualité de l’engagement de Madame Eve Gallacier, chargée de la veille documentaire au département de l’évaluation des risques liés à l’environnement et aux services de soins à l’école nationale de la santé publique. Nous la remercions ici de ses contributions professionnelles et humaines au service de la santé publique.
Références.
1 – Projet de l’Avenant N° 23 à la Convention Nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l’Assurance Maladie signée le 12 janvier 2005.
2 – Le patient, le médecin et la société : dix principes pour une confiance partagée. Ordre National des Médecins, Conseil National de l’Ordre. Paris. Mars 2007. 12p.
3 – Baum M., Demicheli R, Hrushesky W, Retsky M. Does surgery unfavourably perturb the “Natural history” of early breast cancer by accelerating the apperance of distant metastases ? European Journal of Cancer 41 (2005): 508-515.
4 – Welch HG. Search and destroy – the right cancer strategy for Europeans ? European Journal of Cancer 41 (2005): 660-663.
5 – Nielsen M, Jensen J, Andersen J, Precancerous and Cancerous Breast Lesions During Lifetime and at Autopsy. A Study of 83 Women. Cancer 1984; 54: 612-615.
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8 – Nielsen M, Thomsen JL, Primdahls et al. Breast Cancer and atypias among young and middle-aged women: a study of 110 medicolegal autopsies. Br. J Cancer 1987; 56: 814-819.
9 – Zahl PH, Strand BH, Maehlen J. Incidence of breast cancer in Norway and Sweden during introduction of nationwide screening: prospective cohort study. BMJ 328 (2004): 921-4.
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21 – Gotzsche PC. The debate on breast cancer screening with mammography is important. J. Am Coll Radiol 1 (2004) : 8-14.
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