Biologie de synthèse : une centaine d’ONG demandent un moratoire.

Par Magali Reinert, le 17 Mai 2012.
Avec des perspectives de croissance de près de 50% par an, le marché de la biologie de synthèse progresse vite. Les fonds publics et privés affluent vers ce nouveau secteur qui transforme le vivant en usine et promet la prospérité aux industriels après l’épuisement des énergies fossiles. Mais une coalition internationale de 111 organisations s’inquiètent des risques induits par ces nouvelles technologies…
10,8 milliards de dollars en 2016. C’est ce que devrait représenter le marché de la biologie de synthèse, qui s’élevait à 1,6 milliard de dollars en 2011. Les industries pétrolière, chimique, pharmaceutique sont en effet aux premières loges du développement de cette technologie, qui promet de transformer des organismes vivants en usine à produire des médicaments, des carburants, des plastiques. Du Pont, BP, Total, Pfizer, Novartis, Monsanto et bien d’autres sont sur les rangs.
Créée de toutes pièces l’ensemble du génome.
La biologie synthétique va au-delà de la seule transgénèse utilisée pour les OGM. Cette technologie introduit des gènes synthétiques dans le génome d’une bactérie ou d’une algue, voire crée de toutes pièces l’ensemble du génome. C’est ce qu’avait réussi Synthetic Genomics, dirigé par le médiatique Craig Venter, en créant une bactérie au génome totalement synthétique capable de se reproduire. Cette recherche est déjà largement sur le terrain de l’application, avec une industrie qui fabrique de l’ADN de synthèse pour créer sur mesure des algues et des microorganismes. Deux catégories d’entreprises travaillent sur ce marché. Les premières fabriquent les gènes synthétiques. Pour en citer quelques-unes, parmi les quelque 70 qui existent dans le monde, Gene Art en Allemagne, DNA 2.0 aux États-Unis ou Tech Dragon à Hong Kong. D’autres entreprises, principalement américaines, utilisent ces gènes synthétiques pour créer et commercialiser des organismes synthétiques, à l’instar de Synthetic Genomics.
Principale application industrielle, les agro-carburants font l’objet de beaucoup d’attention des firmes pétrolières. Pour preuve, selon l’ONG internationale ETC Group, les ententes de Synthetic Genomics Inc avec Exxon, BP, ou de Amyris Biotechnologies avec Shell, Total et Mercedes. Les entreprises de biologie synthétique travaillent en effet à la production de microorganismes ou d’algues capables de transformer de la biomasse en carburant. Des cultures de bactéries synthétiques nourries à la canne à sucre agissent ainsi comme des usines biologiques miniatures pour produire le carburant souhaité. Un domaine d’application qui intéresse aussi l’industrie sucrière, pourvoyeuse de la biomasse nécessaire.
111 organisations appellent à un moratoire.
On comprend également l’ampleur de ce marché lorsque l’on sait que des bactéries peuvent aussi être créées pour produire du caoutchouc, de la vanille ou du bioplastic…Autre grand secteur concerné, celui de la médecine. Sanofi travaille ainsi sur une bactérie dont l’ADN synthétique produit de l’artémisinine, un médicament pour traiter le palud. L’industrie voit donc logiquement l’avènement d’une bioéconomie, dans laquelle la principale ressource n’est plus les énergies fossiles mais le vivant. Et aux Etats-Unis, la bioéconomie, qui recouvre toute l’industrie « biosourcée », des biocarburants à la biologie de synthèse en passant par les OGM, représente aujourd’hui 11% du PIB.
Si la biologie de synthèse semble donc promise à un bel avenir, d’aucuns s’inquiètent de la main mise de l’industrie sur cette technologie. Ainsi, une coalition internationale de 111 organisations demandent un encadrement et appellent à un moratoire sur la libération et l’usage commercial des organismes synthétiques. Dorothée Browaeys, déléguée générale de Vivagora, une des organisations signataires, résume : « notre posture n’est pas de bloquer la biologie de synthèse mais de protéger la santé publique et l’environnement contre les risques liés à cette nouvelle technologie, et d’assurer que la finalité de cette recherche soit transparente et réponde à l’intérêt général. »
Les séquences d’ADN stratégiques sont privatisées.
« L’autorégulation de l’industrie de la biologie de synthèse ne suffira simplement pas. Les lois et réglementations actuelles encadrant les biotechnologies sont dépassées et inadéquates pour traiter des nouveaux risques soulevés par la biologie de synthèse et ses produits », confirme Andy Kimbrell, directeur exécutif du Centre international d’évaluation des technologies (ICTA). La fuite d’organismes synthétiques, capables de se reproduire dans l’environnement, est en particulier dans le collimateur d’ONG écologistes. Eric Hoffman, responsable des biotechnologies aux Amis de la Terre U.S., donne l’exemple d’une algue capable de synthétiser une « sorte » d’huile de palme, qui pourrait proliférer dans la nature. Autre danger, la dissémination de virus synthétiques. L’ONG américaine Synbiowatch soutient déjà plusieurs salariés contaminés par de tels virus dans des laboratoires californiens.
Privatisation du vivant et accaparement des terres ?
« Outre les risques sanitaires et environnementaux, la biologie de synthèse pourrait aussi accroître les injustices socio-économiques », explique Silvia Ribeiro, directrice Amérique Latine de ETC Group. La biomasse nécessaire pour alimenter les usines biologiques peut en effet conduire à l’accaparement de terres et d’eau au Sud, tandis que les ONG redoutent aussi une privatisation du vivant qui va de pair avec cette technologie : des brevets sont en effet déposés pour garantir la propriété des organismes synthétiques. « Les débats sur l’open source en matière de biologie de synthèse semblent plus une diversion sur des recherches sans grand enjeu industriel ; les séquences d’ADN stratégiques sont, elles, privatisées », souligne Dorothée Browaeys. Les commissions d’éthique des États-Unis ou de l’Union européenne ont été amenées à se prononcer sur ces sujets. Mais, ajoute-t-elle, « leurs recommandations donnent un supplément d’âme à cette question sans la mettre en débat ». En bref, rien de tangible sur ce sujet de la part des autorités publiques.
D’autant que la biologie de synthèse est déjà très développée aux États-Unis, et qu’elle constitue une priorité dans les axes de recherche de l’Union européenne et du Royaume-uni. La France, en revanche, reste encore discrète sur cette question. L’opposition publique aux OGM a en effet ralenti le développement national des biotechnologies… Des associations comme Vivagora ou InfOGM ouvrent néanmoins le débat.
Article reproduit avec l’aimable autorisation de © 2012 Novethic.
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